Cet enregistrement sonore a été réalisé en août 1987 à proximité du Pic du Midi d’Ossau.
Je connaissais Joseph Paroix depuis un certain temps déjà, et l’envie me démangeait d’aller le voir là-haut avec un magnétophone. Berger sans terre, il y passait l’été avec sa compagne (bergère également) pour s’occuper des brebis (je me souviens de chèvres aussi). Ils faisaient le fromage qu’ils descendaient vendre dans la vallée.
Il me semble que c’était à la cabane de "Pucheoux" sous le refuge de Pombie.
Joseph, berger sans terre en vallée d’Ossau
La durée de ce montage sonore est de 46 minutes. Il y est question de la vie de berger sans terre, de la passion pour ce métier et la montagne, de mouche mutante, de l’ours... C’était en 1987...
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- Joseph, berger sans terre en vallée d’Ossau
Aujourd’hui
Quelques temps après cet enregistrement j’ai perdu de vue Joseph. Aujourd’hui Joseph Paroix et sa campagne Anne Rolland ont bâti ensemble, sur le plateau de Bénou, leur bergerie. A la belle saison ils font leur estive à la cabane de Cap de Pount, près du Pic du Midi d’Ossau, à une heure de marche du lac de Bious-Artigues.
Je me suis souvenu de cette bande sonore, je l’ai retrouvée en pas trop mauvais état. J’ai fait aussi des recherches sur Internet. Je suis tombé sur le texte qui suit, écrit en 2007 et dont l’ours est le propos. Depuis j’ai revu Joseph.
- La cabane de Cap de Pount
Le renforcement de la désespérance
par Joseph PAROIX
Source : LABORI (journal basque), 9 août 2007
Entre désarroi, colère, doute, désespoir, ce renforcement ou réintroduction d’ours empreint d’incompréhension est vécu comme une ultime agression pour les uns ou espoir de sauver les ours dans les Pyrénées pour les autres. Ce renforcement venu d’en haut ne pouvait vraiment qu’engendrer des déchirements.
Pourtant nous étions nombreux à penser que la question de la survie de l’ours ne pouvait que poser aussi la question de l’avenir du pastoralisme, de l’agriculture de montagne, de sa survie et de son développement,
Ici en Béarn où la cohabitation a toujours existé, nous sommes nombreux à penser qu’elle est toujours possible. Que l’ours fait partie de notre histoire, de notre culture, que l’histoire de l’homme et des ours dans les Pyrénées ne doit pas s’arrêter. L’ours aujourd’hui aurait pu être le symbole et le lien entre la préoccupation générale de la société et les paysans de montagne. Mais les conditions et la forme de ce renforcement créent au contraire comme un fossé et des déchirements.
Pourtant c’est bien la présence de l’ours, ici en Béarn qui a permis aux bergers de se regrouper pour dire que leur place en montagne était vraiment légitime. C’est la problématique liée à la cohabitation et la concertation au sein de l’IPHB (Institution Patrimoniale du Haut Béarn) qui a permis la synergie autour des projets pastoraux et la mise aux normes des cabanes de montagne et ainsi à émergé l’urgence de sauvegarde et pérennisé la fabrication de fromage en estive.
Il ne peut y avoir cohabitation sans montagne vivante et sans paysans nombreux. Il ne peut y avoir cohabitation sans réelle concertation et lieu où elle puisse s’exercer. Il ne peut y avoir cohabitation sans une vraie politique de montagne assurant la pérennité des petites exploitations, aidant les jeunes à l’installation, reconnaissant l’installation progressive et les bergers sans terre et se préoccupant de la promotion et de la qualité des produits, pour assurer un revenu décent et un avenir serein à chacun.
Bref, tout préalable devrait être une politique qui permette à tous de vivre décemment de son métier et d’inventer un avenir à son exploitation et une vraie place et une vraie légitimité dans la montagne.
La montagne est devenue un espace à partager aux enjeux multiples. Mais aujourd’hui qui dessine un avenir à notre profession de la montagne ?
En fait de partage, c’est souvent le déménagement que l’on nous propose.
Ce sont des contraintes de plus en plus grandes, des tonnes d’imprimés à remplir où la moindre erreur peut entrainer la perte des aides ou leur réduction. Sans aucune forme de procès. Ce sont des contrôles de plus en plus fréquents comme si nous étions des suspects permanents.
C’est une politique agricole et des décisions qui poussent aujourd’hui les plus petits d’entre nous à partir et les autres à produire de plus en plus, d’avoir des troupeaux et des exploitations
de plus en plus grandes avec des charges de travail et des conditions de vie inhumaines et en décalage avec le reste de la société.
On ne peut imposer à une communauté de montagne d’assurer la sauvegarde d’espèces réintroduites, sans qu’elle ne soit assurée pour elle-même, d’un avenir réel et sûr. Cela serait indécent. Pourtant cela a été fait ! Et nous ne pouvons cautionner un tel mépris fait de nos vies et de notre inquiétude sur le présent et l’avenir
Notre place et notre légitimité dans la montagne sont toujours à reconquérir et passent par d’incessants combats.
Pourtant nous sommes bien les garants d’une montagne vivante, un maillon indispensable à l’avenir de nos vallées. Nous sommes aussi les garants de la beauté des paysages et de la richesse de la biodiversité en montagne.
Le renforcement et la présence d’ours dans des lieux où il avait disparu depuis longtemps, où les modes d’élevage ne sont plus adaptés, les équipements inexistants sont un tel bouleversement qu’ils ne peuvent que rendre le présent un peu plus dûr, plus précaire, fragiliser encore plus l’avenir des exploitations et mettre les hommes dans des situations inhumaines. L’inquiétude, le désarroi, la colère des éleveurs de montagne est bien réel et repose vraiment sur des vrais problèmes de vie et de survie déjà intenses et qui peuvent devenir insurmontables.
Le vrai drame de ce renforcement d’ours c’est en plus les déchirements et les guerres entre gens qui avaient travaillé ensemble. Entre ceux qui prennent les aides et ceux qui les refusent. Entre ceux qui sont pour la cohabitation et ceux qui sont contre. La position de chacun sur l’avenir de la montagne et de l’ours relève de l’intime conviction et de sa vision du monde. Elle ne peut être stigmatisée et doit être respectée.
Les rencontres des différentes confédérations paysannes du massif pyrénéen m’ont vraiment fait comprendre la diversité des modes d’élevage et de situations dans les Pyrénées ; les difficultés et le désarroi de beaucoup face à ce renforcement m’ont vraiment touché et m’ont fait toucher du doigt l’urgence de se battre pour exiger une vraie politique et un vrai débat pour l’agriculture de montagne qui respecte les diversités du massif. Le plan d’aide au gardiennage, s’il peut aider ceux qui vivent la cohabitation, ne peut tenir lieu de politique agricole de montagne. De toute façon, les aides au gardiennage doivent vraiment prendre en compte les différents modes d’élevage du massif et doivent être élaborées en concertation avec tous les éleveurs afin de vraiment répondre aux besoins de chacun.
Il est urgent de se battre ensemble pour exiger une vraie politique de montagne qui permette à toutes les exploitations de vivre dignement et de garder l’espoir d’être pérennisées, aux jeunes qui le désirent de s’installer et de leur donner envie d’inventer un avenir serein, en phase avec la société !
Pour garder vraiment une montagne vivante et que tout le monde ait la liberté d’imaginer un avenir à ses enfants.
L’un des plus gros enjeux environnemental aujourd’hui, dans les Pyrénées, c’est le maintien de paysans nombreux.
En plus un projet pour la montagne, nous devons demander une vraie concertation avec tous les acteurs de la vie pyrénéenne afin de construire de nouveaux ponts et d’inventer de nouvelles solidarités et trouver ensemble un avenir possible et sûr, où seront respectés la vie et les projets de chacun, dans le respect des autres.
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